- JAPON - La langue
- JAPON - La langueLe japonais, langue commune de quelque cent vingt millions de locuteurs, emprunte au chinois une partie importante de son vocabulaire et la base de son écriture, mais ses caractéristiques fondamentales sont totalement étrangères à celles du chinois. En revanche, le japonais présente des ressemblances frappantes avec le coréen et avec le groupe des langues dites altaïques, qui comprend notamment le mongol, le mandchou, de nombreuses langues de Sibérie et de l’Asie centrale, ainsi que le turc. On a cru également y trouver quelques substrats malayo-polynésiens.Le japonais est caractérisé d’une part par un système phonétique simple (syllabes ouvertes du type «une consonne + une voyelle»), d’autre part par une règle syntaxique parfaitement constante: le déterminant (élément qualifiant) précède toujours le déterminé (élément qualifié), aussi bien à l’intérieur d’une phrase simple que pour la structure d’une phrase complexe. L’élément verbal, ainsi que tout élément de caractère prédicatif, se place après tous les compléments (parmi lesquels le sujet, qui n’est qu’un élément facultatif), et l’expression du temps et de nombreux autres aspects s’effectue par une succession de particules, dans un procédé de suffixation qui s’observe dans les langues dites agglutinantes.1. Structure de la phraseLa phrase est constituée par un ou plusieurs groupes , définissables par des critères formels. Chaque groupe commence par un mot , simple ou composé, et ce mot peut être suivi d’une ou plusieurs particules. Grosso modo, le mot exprime un sens , tandis que chacune des particules est la marque d’une fonction .Par exemple, Kodomo-ga kin 拏 koko-e ko-nakatta-desh 拏-ka («Un enfant ne serait-il pas venu ici hier?») est une phrase analysable en quatre groupes (cf. tableau ci-dessous).Comme on le voit, le groupe verbal («ne serait-il pas venu?») peut présenter une véritable suite de particules (quelquefois amalgamées) et exprimer un nombre considérable de fonctions, souvent intraduisibles. Le groupe verbal apparaît toujours après les autres groupes qui s’y rapportent. En revanche, l’ordre des groupes régis (1, 2 et 3 de l’exemple) est libre, grâce à la présence des particules enclitiques, qui marquent le rapport qu’ils peuvent avoir avec d’autres groupes. Même en cas de permutation, le changement: «Pierre bat Paul»«Paul bat Pierre» n’est pas possible. Les groupes régis sont tous autonomes. On peut également ne pas les prononcer: par exemple, s’il est évident que l’on parle de «l’enfant», on peut éliminer de l’énoncé le groupe sujet (kodomo-ga ), tout comme on peut le faire pour les autres compléments.Si, au contraire, il s’avère nécessaire d’ajouter des précisions complémentaires sur «l’enfant», il suffit de les exprimer avant le mot kodomo , en application de la règle fondamentale qui veut que l’élément déterminant précède toujours l’élément déterminé. On peut dire par exemple: chiisai kodomo («petit enfant»), yoku [1] jitensha-de [2] kuru [3] kodomo [4] («enfant [4] qui vient [3] souvent [1] à bicyclette [2]»), etc. Le pronom relatif est inconnu, et le rapport logique entre le déterminant et le déterminé ne peut être précisé que grâce au contexte et à la situation.En japonais, la forme finale d’un énoncé est nettement différente de celle qui marque une pause orale momentanée, laquelle indique que l’énoncé est simplement «suspendu». Le groupe dit «suspensif-connectif» peut comporter des particules qui, à leur tour, désignent le rapport de celui-ci avec le segment suivant.Ces processus d’enchaînement des segments confèrent au locuteur japonais une facilité surprenante pour employer des énoncés très longs et très complexes, mais, en même temps, le système permet aux énoncés elliptiques, très fréquents aussi, d’avoir une efficacité peu commune. Mama[-wa] o-kaimono[-yo] («Maman, achats!»), dans la bouche d’une fillette qui garde la maison, veut dire: «Maman est allée faire ses courses, vous savez!» sans ambiguïté possible. Aucune des indications telles que le sujet, le complément d’objet, non plus que celle du nombre ou du genre, n’étant essentielle, il suffit, à la limite, de prononcer juste le «groupe» dont l’utilisation s’impose dans une situation particulière.2. Caractéristiques morphosyntaxiquesLes mots peuvent être classés en deux grandes catégories: mots variables (y 拏gen ) et mots invariables (taigen ).Les mots variables. Aspects et fonctionsLes mots variables sont de deux sortes: verbaux et qualificatifs. Ces derniers peuvent constituer à eux seuls le «groupe conclusif» sans l’aide d’un verbe ou d’une copule, contrairement à ce qui se passe dans les langues européennes. Aoi (bleu) est un énoncé complet qui correspond à peu près à: «C’est bleu.»Si un mot est variable, ce n’est nullement pour exprimer une fonction quelconque, comme dans la flexion ou dans la conjugaison d’une langue européenne. En effet, les fonctions ne sont jamais représentées par le mot en tant que tel, mais par les particules qui le suivent (ou éventuellement par leur absence). La succession des particules obéit à un ordre fixe:– Suffixes formatifs , assurant la «dérivation» pour définir les aspects les plus immédiats (potentiel, factitif, passif; ce dernier indique traditionnellement que le locuteur «subit» une action faite par un autre: lorsque, par exemple, quelqu’un meurt et que cette perte vous touche, on emploiera le passif de «mourir»).– Suffixes fonctionnels , exprimant d’autres fonctions très variées («politesse», négatif, perfectif, conjectural, etc.). Ils sont combinables entre eux selon une règle précise et forment un véritable système marquant le procès et les modalités d’expression. Il est à noter que ce système repose sur un choix essentiellement binaire , étant donné que le choix s’opère entre la présence et l’absence de la particule correspondante: perfectif contre non-perfectif (donc atemporel), conjectural contre non-conjectural (donc assertif), etc.– Particules connectives , marques du rapport logique du segment précédent avec le reste de l’énoncé, ou particules finales , qui actualisent la phrase tout en exprimant la nuance de l’énoncé (étonnement, doute, interrogation, demande de consentement, persuasion, etc.).Les mots invariablesLe japonais comprend un nombre considérable de classes de mots invariables, entre autres celles des qualificatifs invariables et éléments nominaux. Ces derniers ne comportant ni nombre ni genre, et l’article n’existant pas, toute précision de cette nature s’exprime par adjonction d’autres éléments, mais seulement en cas de nécessité. Les équivalents des pronoms personnels possèdent le même comportement syntaxique que les éléments nominaux ordinaires. Tous ces éléments, pour être intégrés dans une phrase, doivent en principe être suivis d’une ou plusieurs particules enclitiques, marquant leur rapport avec d’autres éléments de l’énoncé.Notons aussi une richesse exceptionnelle de mots assimilables aux onomatopées, qui suggèrent non seulement les sons, mais aussi les manières, l’état, l’impression ou les sensations, ajoutant ainsi à la langue parlée et même à la langue purement littéraire un pouvoir évocateur surprenant. En outre, tout vocable d’emprunt (chinois ou occidental) passe systématiquement dans la classe des mots invariables, quelle que soit sa catégorie d’origine, avec un sens souvent différent de son emploi initial: start (de l’anglais, transcrit sut to ) signifie «départ» (des athlètes) ou «mise en route» (du moteur ); avec (du français, transcrit abekku ) désigne «un couple d’amoureux». Pour que ces mots soient intégrés dans la phrase, il est nécessaire de les combiner avec des éléments japonais: sut to-suru (suru : «faire») correspond à «partir»; abekku-de aruku (de marque l’état, aruku : «marcher») signifie «se promener à deux». Ces quelques exemples montrent que la langue japonaise, malgré l’importance des apports étrangers, garde intactes ses caractéristiques morpho-syntaxiques.3. Les incidences socio-linguistiques. Expressions de politesseLes dialectes, fort nombreux, sont en régression sous l’influence de l’enseignement, de la radio et de la télévision, qui tendent à faire du parler de T 拏ky 拏 la langue commune des cent vingt millions de Japonais. Mais paradoxalement, on constate l’absence quasi totale d’une grammaire normative, et le japonais reste une langue qui évolue rapidement, sur le plan du style et du vocabulaire, avec des néologismes lancés sans cesse par la publicité, par les magazines hebdomadaires ou par certaines émissions télévisées.L’emploi des particules finales est entièrement différent chez les hommes et chez les femmes, au point de donner l’impression qu’il existe deux parlers distincts.Le fait le plus marquant en japonais est l’existence d’un système complexe exprimant les relations de politesse, avec une finesse sans doute unique au monde. Pour pouvoir seulement comprendre le processus, il convient de distinguer au moins trois notions différentes:– Politesse du style , indiquant que l’on parle très poliment, poliment ou d’une manière neutre. Le style «poli» est utilisé dans les correspondances et dans tous les cas où l’on dirait «vous» en français au lieu de «toi» pour désigner son interlocuteur. Le style «neutre» s’emploie dans les écrits qui ne supposent pas un lecteur personnalisé (récits, circulaires administratives, etc.), ainsi que dans les conversations intimes (cas du tutoiement français).– Expressions de «respect» , employées pour décrire tous les faits et gestes de la personne à qui le locuteur doit le respect, réel ou conventionnel. La «deuxième personne» des langues européennes est indiquée grâce à ces expressions.– Expressions de «modestie», employées dans le style «très poli» pour les faits et gestes du locuteur lui-même, par égard pour son interlocuteur.Ainsi, ces expressions de politesse représentent un système cohérent qui remédie à la carence du japonais en matière d’expression de personnes.4. Système phonologiqueLes voyelles sont au nombre de cinq. Le schéma du système vocalique (représenté ci-contre, à l’envers du sens habituel) est caractérisé par sa forme non triangulaire, /U/ étant une voyelle neutre fermée, réalisée avec les lèvres non arrondies. Les deux voyelles fermées, /U/ et /I/, passent en sourdes quand elles se trouvent entre deux consonnes sourdes ou en position finale non accentuée. Les semi-voyelles n’apparaissent que dans des combinaisons limitées: /Y/ devant /A/O/U/, et /W/ devant /A/ seulement. Les consonnes sont combinables avec les cinq voyelles ou avec /YA/YO/YU/, avec les variantes indiquées dans le tableau ci-dessous. Les consonnes ne se combinent jamais entre elles, en dehors des affriquées qui figurent dans le tableau ci-dessous.La syllabe ne comporte qu’un seul archétype: C + V (C = consonne ou «zéro»; V = voyelle ou /YA/YO/YU/). Toutes les syllabes sont donc ouvertes et censées avoir une durée égale. Toutefois, elles peuvent être dédoublées en durée par l’un des éléments suivants:– «Prolongement », en présence d’une voyelle longue: = aa, 勒 ou ei = ee , 稜 = ii , 拏 = oo , = uu. En règle générale, deux voyelles différentes qui se succèdent sont à interpréter comme deux syllabes (par exemple: au = /A/ + /U/; oi = /O/ + /I/).– Nasale , notée /N./ dans le schéma: cette nasale ne fait jamais de liaison avec la voyelle suivante; /N./ est prononcé [n] devant /T/D/N/,devant /P/B/M/, et approximativement [ 兀] dans d’autres positions.– « Coupure », notée /X/ dans le schéma et représentée en transcription par des géminées. /X/ n’est qu’une position d’attente devant /P/T/K/, un début d’émission devant /S/. Toute autre combinaison est impossible en principe.La prosodie a une grande importance pour la compréhension du sens et pour la segmentation de la phrase. Le «groupe», unité prosodique, est en même temps une unité structurale et logique minimale. À l’intérieur d’un groupe donné, chaque «syllabe» est marquée par l’un des deux niveaux, «haut» ou «bas», et la différence du «ton» sert souvent à distinguer les «homonymes». Comme exemple extrême, la phrase à groupe unique Hashi-desu , selon le ton, peut avoir trois sens différents:5. L’écritureL’écriture était inconnue avant l’introduction de la civilisation chinoise. Les premiers documents de la langue ne remontent guère au-delà du VIIIe siècle, alors que le chinois était la langue des écritures officielles, tout comme le latin au Moyen Âge européen.À la première période, les traits spécifiques de la langue indigène étaient notés en caractères chinois; indépendamment de son «sens» initial, l’«idéogramme» servait à représenter une des «syllabes» japonaises.Plus tard, à partir du IXe siècle surtout, des signes spécifiques, appelés kana , entrèrent dans l’usage. Ces derniers comportent deux séries différentes: les katakana , pour lesquels on retint un fragment de caractère chinois, et les hiragana , résultant d’une écriture cursive du signe d’origine (voir illustration ci-dessous).Dans l’usage actuel, les deux séries de kana (chacune comporte 48 signes, dont 2 sortis de l’usage) coexistent avec les caractères chinois (kanji , au nombre de 1 945 d’après une liste officielle publiée en 1981) dans un système d’écriture dont la complexité est unique au monde:– Les katakana servent surtout à la transcription des mots étrangers.– Les hiragana représentent tous les éléments spécifiques, notamment les «terminaisons», suffixes et autres particules.– Les kanji sont utilisés, en fonction de leur sens , pour représenter les mots d’origine chinoise (dans l’une des prononciations appelées on , résultant de l’imitation de diversdialectes chinois anciens), ainsi que tout ou partie de mots indigènes . Dans ce dernier cas, comme il ne peut y avoir d’équivalences phonétiques entre un élément chinois et ses «traductions» (kun ) en japonais, le même caractère peut être «lu» de manières très différentes.Des efforts de simplification ont été accomplis depuis 1946, mais une solution radicale telle que la romanisation est toujours repoussée: l’argument invoqué le plus souvent est que la plupart des mots nécessaires à la vie moderne sont des mots composés à l’aide des caractères, souvent homophones, et que ces mots deviendraient inintelligibles sans leur «support visuel».À l’heure actuelle, les micro-ordinateurs, qui envahissent au Japon la quasi-totalité des bureaux et également un nombre impressionnant de foyers, prévoient le traitement d’une variété de plus de 3 000 signes dans leur application courante. Ces caractères sont exploités selon un principe simple, qui consiste à utiliser des codes de deux octets par signe, et qui, théoriquement, permettrait la codification de plus de 16 000 caractères différents avec seulement le double de ce qui est utilisé d’habitude pour les signes alphanumériques (un octet par signe).Ainsi, les Japonais semblent prouver qu’il est tout aussi simple d’informatiser les «idéogrammes» les plus complexes que de traiter les mots en transcription romanisée, et que, de surcroît, l’utilisation des caractères chinois reste plus économique, car les mêmes mots s’avèrent beaucoup plus courts sous cette forme que dans les langues occidentales!
Encyclopédie Universelle. 2012.